GAME OVER : Différence entre versions
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Version du 9 novembre 2018 à 13:04
Le 26/03/08, *JFC Morfin* <jefsey@jefsey.com> a écrit :
- " Dans ce jeu, les structures (ICANN, IETF, W3C, ISOC, IGF, WSIS, etc.) sont des outils hardware (structurels) d'un monde de parole où ce qui compte réellement n'est pas tellement le logiciel imaginé par bien des gens, ni leurs rencontres multi-tâches, mais de comprendre l'écologie et influencer le brainware de milliards de cerveaux et machines qui supportent l'écoulement de la pensée des gens entre eux - avec l'assistance des ordinateurs, malgré certains qui veulent y perfuser leur pub, leur vision mercantile, leur égo personnel, etc., etc."
Dr. Francis MUGUET a écrit :
- celà serait interessant de connaitre vos suggestions.
On 18:29 27/03/2008, Olivier Auber said:
- Et bien les voilà !
En préambule, nous précisons que ceci est l'avis de deux personnes
(Olivier Zablocki et Olivier Auber) qui sommes des électrons libres de
l'Internet, au sens où nous n'avons aucun pied dans quelque instance
commerciale, administrative, politique ou associative que ce soit, et
n'avons pris aucune part jusqu'à présent dans les tractations entre les
organismes cités plus haut. En cela, nous prétendons - et nous sommes
conscients que cela est infiniment prétentieux - incarner les
utilisateurs de base du réseau. Nous sommes aussi conscients de n'être
que des atomes minuscules aux connaissances et aux moyens d'expression
très limités. Dans ce mail, sommes aussi désolés si nous rappellons des
notions évidentes pour de nombreuses personnes dans cette assemblée.
Veuillez nous pardonner pour tout cela.
Pour nous, si le jeu des structures mentionnées par Jefsey (ICANN, IETF,
W3C, ISOC, IGF, WSIS, etc.), et j'ajouterai UNESCO, SMSI, ONU, etc.,
apparait "comme une conversation" (prenant souvent le tour d'une
engueulade entre apparatchiks), c'est que l'Internet tel qu'il se
déploie depuis des années sur la base d'IPv4 est conçu comme un
organisme essentiellement centralisé. Chaque niveau d'agrégation de ses
instances est de fait le lieu d'une guerre de légitimité qui dilapide
une quantité grandissante d'énergie sociale, politique et économique.
Dans le monde tel que dessiné par cette forme du réseau, c'est
évidemment, le plus fort qui gagne. Aujourd'hui, la situation est proche
du "GAME OVER", à savoir que dans les faits, c'est la SAIC (startup de
la CIA) qui a le doigt sur le bouton ON/OFF du réseau via ses multiples
filiales (NetworkSolutions, Verisign, etc.), les instances
internationales qu'elle contrôle plus ou moins directement (ICANN,
ISOC), et leurs avatars commerciaux (Google et son siphonage mondial des
données et des recettes publicitaires).
Bref, dans ce monde là, la France, l'Europe, et le reste du monde a
perdu. Le grand méchant loup lui-même n'aura bientôt plus rien à se
mettre sous la dent puisqu'il a déjà dévoré tous les agneaux. Le
Capitalisme s'est tiré une balle dans le pied!
Quelles chances ont les préoccupations fort légitimes de multilinguisme
de s'imposer dans un tel contexte? A notre avis, aucune. Quelle que soit
la bonne foi des acteurs, les revendications linguistiques et
culturelles sont portées par des organismes divisés, en proie à des
conflits de légitimité. Ce sont en dernier ressort les Etats dont les
modalités démocratiques sont disparates, sujettes à caution, et
archaïques en regard des usages de l'Internet. Dans ce contexte, les
délégations de pouvoir sur des zones linguistiques et culturelles qui
pourrait être consenties aux Etats (ou à leurs avatars) n'apparaissent
pas aux utilisateurs que nous sommes comme une planche de salut, mais au
contraire comme un niveau de vérrouillage reproduisant à une échelle
plus réduite celui qui est à l'oeuvre à l'échelle mondiale. La phobie du
terrorisme conduit au "tout sécuritaire" qui entraîne lui-même la
défiance et le terrorisme qu'il prétend combattre... Dans cette boucle
infernale, la souveraineté des Etats en tant que cristallisation des
langues, des cultures et des peuples est illusoire. Dans les faits, ils
ne sont plus que les simulacres d'eux-mêmes, ne maintenant les
apparences que par des rituels électoraux hors d'âge faisant de plus en
plus figure de déni de démocratie pour les utilisateurs des réseaux. Le
cas de la Chine est l'emblème de cette dérive. Si l'on y prend pas
garde, cela pourrait devenir la norme. Bref sur ce plan là aussi, c'est
la déréliction complète: GAME OVER.
Entendons-nous bien: dans ce constat, nous ne faisons en aucun cas le
procès des acteurs des organismes cités plus haut, dont beaucoup
d'entre-vous font partie. Nous ne mettons pas en doute leur engagement
et leur loyauté au service du bien commun. Au contraire, nous sommes
peinés de les voir se lancer à la figure les uns les autres des
injonctions à l' 'éthique". Nous éprouvons de la compassion pour les
bouc-émissaires désignés comme pour ceux qui voudraient les lyncher.
Tous sont finalement des victimes d'un phénomène systémique à la racine
duquel se trouve selon nous la topologie actuelle de l'Internet, qui est
elle-même la résultante d'une certaine conception du rôle des sciences
et des technologies dans la société.
Alors où est la sortie?
Et bien justement dans un possible changement de topologie et de paradigme.
Il est dit partout qu'IPv4 arrivera à saturation vers 2011 et que le
passage à IPv6 est maintenant un impératif. Beaucoup ne voient dans ce
passage qu'un emmerdement (c'est du boulot de faire la transition), au
mieux un saut quantitatif, à savoir que les nouvelles adresses IP dites
"unicast" disponibles à profusion pourront être utilisées pour
identifier (et contrôler) n'importe quoi (qui)... Mais il y a aussi dans
IPv6 l'amorce d'un changement qualitatif qui, selon nous, a une
importance décisive: c'est la notion d'adresse de groupe connue sous le
nom d'IP Multicast définie par Steve Deering en 1985. [1]
Dans IPv4, la possibilité d'utiliser des adresses de groupe n'était
qu'une verrue (extension) qui n'a été utilisée par les opérateurs que
pour optimiser la bande passante sur leur backbone. C'est aussi ce qui a
permis d'amener la télévision sur l'Internet et de proposer la réception
de centaines de canaux aux abonnés de l'ADSL. Grâce au Multicast, les
flux ne sont émis qu'une seule fois depuis les sources et ne sont routés
jusqu'au destinataire que si celui-ci le demande. Il s'agit donc d'un
protocole d'une grande économie, à tel point que les gens d'Hollywood y
voient l'avenir même de la télévision [2]. [2] "The Once and Future
King: Multicast looks to (finally) be the future of television."
http://www.pbs.org/cringely/pulpit/2007/pulpit_20071221_003697.html
Cela nous parait être une vision commerciale fort limitée des services
que peut rendre Multicast. En effet, tel que défini par Steve Deering le
Multicast est un protocole symétrique, c'est à dire qu'il est
théoriquement possible d'émettre et de recevoir un flux de quelque
nature que ce soit sous couvert d'un numéro de groupe. Encore faut-il
des logiciels particuliers capables de formater et d'interpréter ces
données. Et bien il se trouve que ces logiciels existent, au moins au
stade de prototypes, et que beaucoup d'entre eux ont été développé à la
fin des années 90 à l'INRIA et à l' ENST Paris [3] .
Que sont ces applications, si ce n'est ce que tentent de bricoler les
applications P2P sur un réseau Unicast qui n'est pas fait pour cela, à
savoir des bases de données et des calculs distribués, de la téléphonie,
de la visio et audio conférence sans l'intermédiaire de serveurs, etc.
Il est possible de faire de manière économique avec le Multicast
beaucoup de choses que l'ont fait déjà avec l'Unicast, mais il est aussi
possible de concevoir une toute nouvelle classe d'applications
collaboratives distribuées qui pourraient ringardiser rapidement celles
du Web 2.0. C'est une toute nouvelle culture du réseau qui est là en germe.
IPv6, qui intégre le Multicast de manière standard, pourrait rendre cela
possible. Evidemment, il y a nombre de barrières et d'écueils. Nerim,
Free, et OVH viennent de proposer à leurs abonnés le passage à l'IPv6,
mais il n'est pas certain à l'heure qu'il est que cette possibilité du
Multicast symétrique soit effectivement possible et si les paquets
Multicast sont routés effectivement au delà du backbone de ces
opérateurs [4]...
Au delà de ces balbutiements techniques, certains attendus théoriques
sur le changement de paradigme dont est gros, entre autres, le passage à
l'IPv6 figurent dans l'étude rendue fin 2007 à l'Observatoire des
Territoires Numériques (OTEN) à laquelle l'un d'entre nous a contribué
(Olivier Auber) [5]
Si à première vue, les intérêts des lobbies semblent aller à l'encontre
de la mise en place d'un Internet Multicast symétrique jusqu'à
l'utilisateur-même (ce qui conduit à l'équivalence complète du tuyau de
TF1 et de celui Mme Michu), nous sommes persuadé qu' après réflexion,
les lobbies en question sont à même de comprendre que ce lâcher-prise
est un gage de survie pour l'économie mondiale. Mais pour qu'ils le
comprennent, il va sans doute falloir de répéter plusieurs fois ;-)
Face à la nécessité absolue de constituer de nouveaux rapports de force
pour ne pas rater ce nouveau train de l'histoire il est important de
profiter de la "fenêtre de tir" très courte qui est de fait ouverte
cette année. La refondation éventuelle de l'ISOC n'a de sens pour nous
que si elle s'ordonne autour d'une volonté très clairement affirmée de
soutenir effectivement ce changement de topologie et de paradigme en
assumant toutes les ruptures, aussi radicales soient-elles avec la
gouvernance de l'Internet telle que nous l'avons connue jusqu'à présent.
En somme c'est bien d'un gigantesque fork qu'il est question aujourd'hui
et, dans ce domaine comme dans bien d'autres, il est vain de chercher à
jouer au plus malin ; on ne peut imaginer se tenir des deux côtés de la
ligne de front à la fois. Les leçons de l'histoire récente nous ont
parallèlement montré que l'Internet était un enjeu beaucoup trop sérieux
pour être laissé entre les mains du techno-pouvoir, surtout lorsque ce
techno-pouvoir a le visage de nos meilleurs amis.
C'est aussi un enjeu beaucoup trop sérieux pour que nous puissions nous
en remettre à la puissance publique, législative et réglementaire. Ce
n'est pas lui faire injure que de constater qu'elle ne peut être d'un
grand secours à ce stade des opérations. Elle nous laisse démunis car,
ainsi que l'explique avec force Paul Mathias, du code à la loi le
parcours est long, hybride, aléatoire et à durée indéterminée alors même
que la question pour l'utilisateur se pose ici et maintenant, tout de
suite, en situation d'usage à 30 cm derrière l'écran, confronté à telle
ou telle interface avec le graphe social qui masque volontairement ou
naïvement la nature des enjeux.
Dans ces conditions que nous reste-t-il ? Au risque de faire sourire les
plus légers ou de mettre en colère les plus graves d'entre nous, nous ne
voyons pas d'autre moyen que l'appel direct au peuple. Un appel
spectaculaire et pédagogique qui reste un exercice difficile à concevoir
nous en sommes conscients. Un appel clair et radical capable de
réellement perturber le jeu qui se jouera à Paris à la fin du mois de
juin. Sur ce point nous rejoignons Jefsey lorsqu'il souligne que Paris
sera alors « LE spot de rencontre ». Nous devons imaginer quelque chose
qui, au moins sur le plan du symbole et de la communication, aurait
autant de force qu'une prise d'otage collective de "tous ces gens qui
comptent et qui pensent que les autres qui comptent aussi seront à
Paris". En échange de leur "libération" nous n'exigerions qu'une seule
chose : qu'ils rendent les clés de l'Internet.
Qui lancera le signal ? Quelle forme prendra-il ? Plusieurs pistes sont
ouvertes et pratiquables. Reste seulement à savoir qui est prêt à
s'associer explicitement à un manifeste de rupture radicale. La question
est posée en général à tous et en particulier à l'ISOC, canal historique
ou refondateurs, ce n'est pas une provocation gratuite, c'est une chance
qui lui est offerte d'interrompre son agonie.
Vos suggestion sont bien entendu les bienvenues
... à suivre.
Olivier Auber et Olivier Zablocki
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[1] RFC 966 - Host groups: A multicast extension to the Internet Protocol S. E. Deering, D. R. Cheriton, Stanford University, December 1985 http://www.faqs.org/rfcs/rfc966.html
[2] "The Once and Future King: Multicast looks to (finally) be the
future of television."
http://www.pbs.org/cringely/pulpit/2007/pulpit_20071221_003697.html
[3] http://www.infres.enst.fr/~dax/guides/multicast/mdownload.html
(En 94, j'ai eu la chance de pouvoir impulser le développement de l'un
des tout premiers d'entre-eux ("gp" en bas de la liste) dont la version
unicast se trouve là:
http://perspective-numerique.net/wakka.php?wiki=GenerateurPoietique)
[4] pour ceux qui connaissent: dans le cas de Free, c'est la transition
IPv4&6 de Remi Dépres qui est implémentée. Quelqu'un en connait-il les
llimites?)
[5] http://anoptique.org/PDF
(Partie "cadrage théorique" de la page 11 à la page 37 ; surtout : Le
territoire et le régime de légitimité numérique 2.3.3 page 35... si
toute la lecture de l'étude te parait trop lourde les pages 35, 36, 37
sont au coeur de la question.)
--
Olivier Auber
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