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HHDH : "Hypothèse Homo Deus d'Harari" - "Harari Homo Deus Hypothesys"



Par l'Editeur ...
Sapiens retraçait l’histoire de l’humanité. Homo Deus interroge son avenir. Que deviendront nos démocraties quand Google et Facebook connaîtront nos goûts et nos préférences politiques mieux que nous-mêmes ? Qu’adviendra-t-il de l’État providence lorsque nous, les humains, serons évincés du marché de l’emploi par des ordinateurs plus performants ? Quelle utilisation certaines religions feront-elles de la manipulation génétique ? Homo Deus nous dévoile ce que sera le monde d’aujourd’hui lorsque, à nos mythes collectifs tels que les dieux, l’argent, l’égalité et la liberté, s’allieront de nouvelles technologies démiurgiques. Et que les algorithmes, de plus en plus intelligents, pourront se passer de notre pouvoir de décision. Car, tandis que l’Homo Sapiens devient un Homo Deus, nous nous forgeons un nouveau destin.
Best-seller international – plus de 200 000 exemplaires vendus en France, traduit dans près de 40 langues – Sapiens interrogeait l’histoire de l’humanité, de l’âge de la pierre à l’ère de la Silicon Valley. Le nouveau livre de Yuval Noah Harari offre un aperçu vertigineux des rêves et des cauchemars qui façonneront le XXIe siècle. Yuval Noah Harari est docteur en Histoire, diplômé de l’Université d’Oxford. Aujourd’hui, il enseigne dans le département d’Histoire de l’université hébraïque de Jérusalem et a remporté le « prix Polonsky pour la Créativité et l’Originalité » en 2009 et en 2012. Acclamé par Barack Obama et Mark Zuckerberg, son ouvrage Sapiens est devenu un phénomène international : traduit dans près de 40 langues et présent dans toutes les listes de bestsellers à travers le monde.
Homo Deus will shock you. It will entertain you. Above all, it will make you think in ways you had not thought before. Daniel Kahneman, author of Thinking Fast, and Slow.
Yuval Noah Harari, author of the bestselling Sapiens : A Brief History of Humankind, envisions a not-too-distant world in which we face a new set of challenges. In Homo Deus, he examines our future with his trademark blend of science, history, philosophy and every discipline in between.
Homo Deus explores the projects, dreams and nightmares that will shape the twenty-first century – from overcoming death to creating artificial life. It asks the fundamental questions: Where do we go from here? And how will we protect this fragile world from our own destructive powers ? This is the next stage of evolution. This is Homo Deus.
War is obsolete
You are more likely to commit suicide than be killed in conflict
Famine is disappearing
You are at more risk of obesity than starvation
Death is just a technical problem
Equality is out – but immortality is in
What does our future hold ?



Figaro (il ne l'a pas bien compris ...)
La suite, Homo Deus, une brève histoire de l'avenir (Albin Michel) qui essaie d'imaginer ce que deviendrait une humanité optimisée par les manipulations génétiques et augmentée par la technologie, vient de paraître en France. Harari parachève ainsi son grand ouvrage qui peut se lire comme une nouvelle Bible, une version évolutionniste et anti spéciste de l'histoire de l'homo sapiens, depuis sa genèse jusqu'à l'Apocalypse dont l'auteur prophétise qu'elle pourrait être imminente. Une bible qui affirme que la «religion» humaniste est une construction culturelle imaginaire au même titre que les monothéismes. À cet égard, on s'étonne qu'elle ne suscite pas davantage de débats dans les pays des droits de l'homme.
Vegan et bouddhiste
Yuval Noah Harari, né en Israël en 1976, universitaire spécialisé dans l'histoire militaire du Moyen Âge, diplômé d'Oxford, donne des cours de World History à l'université hébraïque de Jérusalem. Il a diffusé ses cours sur internet sous forme de MOOC puis les a transformés en livres. La séduction qu'il exerce tient sans doute à son style convivial de professeur charismatique qui veut pousser ses élèves à remettre en question leurs idées toutes faites pour montrer que leurs croyances et leurs valeurs sont fragiles.
Végétalien - une grosse centaine de pages d'Homo Deus est consacrée aux souffrances que Sapiens fait subir aux autres animaux - Harari vit dans une communauté agricole coopérative près de Jérusalem. Il est aussi adepte de la méditation bouddhiste, tendance Vipassana. Homo Deus est d'ailleurs dédié à son maître S.N Goenka.
Les droits de l'homme, une invention
Des personnalités mondialement admirées, comme Bill Gates et Mark Zuckerberg, ont chaleureusement recommandé Homo Sapiens. Barack Obama a dit qu'il avait adoré cette «histoire de l'humanité vue du ciel», curieuse expression pour qualifier une vision réductionniste de l'homme. On se demande si l'ancien président américain a lu les pages 136 et 137 dans lesquelles Harari décortique le fameux passage de la Déclaration d'indépendance des États-Unis qui dit que tous les hommes sont créés égaux, doués de droits inaliénables parmi lesquels la vie, la liberté, la recherche du bonheur. «Ces principes universels, affirme Harari, n'existent nulle part ailleurs que dans l'imagination fertile des Sapiens et dans les mythes qu'ils inventent et se racontent. Ces principes n'ont aucune validité objective.» Harari écrit également, et pour lui cela ne semble pas souffrir discussion, que «la liberté est une invention des hommes qui n'existe que dans leur imagination». Il entreprend alors une étrange traduction «en langage biologique» de la Déclaration d'indépendance.
Quant à l'âme dont il est plus longuement question dans Homo Deus, elle n'existe pas non plus, explique-t-il, puisque les chercheurs qui ont scruté tous les recoins du cœur et du cerveau humain ne l'ont jamais découverte.
En France, Homo Sapiens n'avait pas fait l'objet d'un grand lancement médiatique. Il s'est transmis de bouche-à-oreille et… d'homme à homme. Phénomène singulier, il a été lu principalement par des hommes de catégories socioprofessionnelles supérieures qui le recommandaient à leurs amis, comme les lectrices le font habituellement avec leurs romans préférés.
Qui trop embrasse sème la confusion
Pourtant la plupart des lecteurs d'Homo sapiens, lorsqu'on leur demande ce qu'ils en ont pensé et quel est le propos de l'auteur, ont du mal à répondre. Ils plissent le front. En effet, en le lisant, on se demande où Harari veut en venir. On sent qu'il veut en venir quelque part, mais qu'il entretient un certain flou, ou peut-être qu'il n'arrive pas à dissiper le flou de sa propre pensée. Il est indéniablement plus à l'aise dans les passages narratifs que dans lorsqu'il entreprend de philosopher.
Ses lecteurs ont apprécié le foisonnement de connaissances déployées. Il est vrai qu'on peut picorer dans ces livres une multitude d'études chiffrées et d'anecdotes historiques intéressantes. Mais dans certains domaines, ces connaissances sont sujettes à caution, parfois erronées à force d'être schématiques ou partielles, au point qu'on se demande si elles sont de première main ou s'il répète ce qu'il a lu dans les livres répertoriés dans la bibliographie. Une bibliographie où ne figurent que des ouvrages et des articles contemporains. La culture classique de Harari, en littérature et en philosophie, sans parler de la théologie, semble très succincte.
Harari a un réel talent pour vulgariser, faire réfléchir en faisant marcher l'imagination de son lecteur. À cet égard, il serait certainement un bon auteur de romans dans lesquels il pourrait laisser s'exprimer les contradictions et les angoisses légitimes qui l'habitent.
Mais en refermant Homo Sapiens et Homo Deus qui brassent des milliers de siècles, d'histoires, de sujets, d'idées et de supputations, on est assommé comme si on sortait d'un chaos. À la toute dernière page, Harari semble dire qu'il a eu lui-même cette impression: «Élargir nos horizons peut se retourner contre nous en semant la confusion et en nous rendant plus passifs qu'avant.» Étrange.



Pourquoi HOMO DEUS de Yuval Noah Harari est un livre majeur pour l’innovation (et pour Homo Sapiens).
“SAPIENS, une brève histoire de l’humanité”, le premier livre à immense succès de l’historien Yuval Noah Harari, est sorti en anglais en 2014 et en français fin 2015.
La thèse de l’auteur est que l’Homo Sapiens, l’espèce qui domine le monde sans partage aujourd’hui, la votre très probablement si vous lisez ces lignes, doit son hégémonie à sa capacité à coopérer de façon massive et très flexible. Celle-ci nous a permis de dominer, jusqu’à leur extinction, des espèces plus fortes, et pour certaines plus “intelligentes” comme l’Homo Neandertalis. La soif de croissance de l’espèce Homo Sapiens l’a poussé à éteindre des milliers d’espèces, à endommager la planète de façon irréversible, et souvent au détriment de son propre bonheur.
L’auteur étaye l’hypothèse que les 5 millions d’humains que comptait la Terre il y a 10000 ans étaient probablement plus heureux que les 200 millions du début de l’ère chrétienne.
Yuval Noah Harari démontre que la puissance d’Homo Sapiens est due à ses capacités collaboratives, elles-mêmes liées à sa capacité à partager des croyances communes : Religion, Etat, Argent, Droit, Institutions… Et plein d’autres faits passionnants qui font que l’auteur a été traduit en 30 langues et compte des célébrités influentes comme Mark Zuckerberg parmi ses dizaines de millions de lecteurs.
Bananas in heaven | Yuval Noah Harari | TEDxJaffa
“HOMO DEUS, une brève histoire de demain”, la suite en quelque sorte, a été publié fin 2016 et est disponible en français depuis septembre 2017. Review.
Extrapolant les derniers développements de l’innovation, notamment en médecine et en intelligence artificielle, il envisage la suite d’Homo Sapiens sous un jour nouveau. Ces développements récents permettent aux humains un pouvoir décuplé et aussi d’aspirer à la quasi immortalité. Il élabore sur le fait que ce pouvoir accru et la forte augmentation de la durée de vie, dont l’arrivée s’étalera sur quelques décennies, permettront à notre espèce de devenir des super-humains, quasi immortels, ou “Homo Deus”.
De nombreux ouvrages de “futurologues” anticipent le potentiel des technologies, le QUOI de l’innovation, mais très peu d’ouvrages envisagent le potentiel du SUJET utilisateur de l’innovation qu’est l’homme, et ce qu’il va devenir.
Concernant l’objet de l’innovation, on sait que la vitesse d’adoption progresse de façon quasi exponentielle, qu’il s’agisse des technologies de l’information, et notamment l’intelligence artificielle, la robotique, la réalité virtuelle, mais aussi les déplacements, l’énergie, la santé ou encore les matériaux. Cela va de plus en plus vite et il n’y a pas de pédale de frein. L’humanité a trouvé (techniquement en tout cas) la clé à ses trois grands fléaux historiques, qui ont décru rapidement dans les dernières décennies : Famine, Epidémies et Guerres. Jusqu’à la contradiction : il y a aujourd’hui trois fois plus de décès dus à l’obésité qu’à la malnutrition. La seule chose que l’innovation ne parvient pas encore bien à faire, c’est réparer la planète, notamment concernant le réchauffement climatique ou la pollution — mais des initiatives existent.
Concernant l’augmentation de la durée de vie, de nombreuses recherches actuelles visent à identifier tous les ressorts de la longévité, notamment pour permettre de remplacer les organes endommagés, et ils progressent vite. Les fondateurs de Google ont investi massivement dans Calico, une société qui a pour modeste mission de “Résoudre la Mort”. De nombreuses initiatives existent pour faire émerger des “nano-robots” qui viendront surveiller et réparer le corps humain. La maîtrise de la génétique, initialement pour des fins thérapeutiques, aura très rapidement d’autres usages. La bionique, initialement tournée vers la réparation des infirmités, pourra également doter l’Homme de super pouvoirs. Depuis qu’Harari a écrit son livre, Elon Musk a même investi dans un nouveau projet, Neuralink, qui vise à connecter le cerveau et les ordinateurs.
L’innovation technologique a déjà eu une influence considérable sur le fonctionnement de notre cerveau et de nos interactions sociales.
Il y a encore 20 ans, nous connaissions tous au moins une dizaine de numéros de téléphone par coeur, aujourd’hui ce sont nos mobiles qui s’en souviennent pour nous. Nous avons externalisé à Google une partie de ce dont le cerveau se souvenait car on sait que nous pouvons le retrouver en quelques secondes. Nous passons nos temps de transport en commun, et d’attente, le nez sur nos mobiles, qui ne servent plus qu’exceptionnellement à téléphoner. Les jeunes détestent devoir se déplacer ou passer un appel pour réserver une prestation : tout doit se faire en ligne. Mais nous ne sommes pas, physiquement, fondamentalement différents de nos ancêtres nés il y a 1000 ans, et dont certains — un très faible nombre — vivaient déjà centenaires.
Ce qu’Harari souligne, et qui est stupéfiant, est que ces futures technologies vont changer profondément la nature même d’Homo Sapiens en tant qu’espèce, dans la centaine d’année qui vient, ce qui est un temps minuscule par rapport à l’histoire.
En tout cas ceux qui passeront par cette transformation, vous peut-être si vous lisez ces lignes. Chacun restera vulnérable aux morts violentes, mais vu la vitesse d’évolution des technologies, il apparait que les premiers qui accèderont à cette quasi immortalité sont probablement déjà nés.
Enfin, la fameuse Singularité, moment où les machines dépasseront dans tous les domaines le fonctionnement du cerveau, va finir par arriver. La première fois où j’ai rencontré Ray Kurzweil en 2005, principal apôtre de la Singularité, il prédisait que ce serait en 2017. Il a prudemment repoussé à 2029 sa prédiction depuis mais la théorie reste parfaitement valide : une fois la singularité dépassée, la vitesse de progression des systèmes d’information vont évoluer de façon exponentiellement plus rapide que les cerveaux humains. Et les “Homo Deus” dont les cerveaux seront connectés à ces systèmes d’information également : ils ne joueront plus dans la même catégorie aux examens universitaires. Pour compléter le tableau de sa divinité, Homo Deus aura la possibilité d’aller se promener dans l’espace grâce à Virgin Galactic.
Ce transhumanisme pose des questions absolument vertigineuses sur l’évolution de la société, dès 2030, et nous prenons conscience du fait qu’il va falloir revisiter une grande partie de ce que nous croyions savoir, basé sur notre conviction de connaitre le “Sujet” du monde, Homo Sapiens.
L’auteur montre dans ses deux ouvrages qu’au cours des siècles, Homo Sapiens a fait énormément progresser les conditions matérielles de son existence, mais sans impact statistique fort sur son bonheur, parfois même à son détriment : Homo Deus trouvera-t-il, lui, la clé du bonheur ? Celui-ci peut-il être contrôlé par la biochimie ?
Yuval Harari n’est plus à proprement parler dans son métier d’historien quand il annonce l’apparition prochaine de cette nouvelle espèce supra-humaine. Mais il ouvre en quelque sorte une nouvelle branche de l’histoire.
Q&A — The Future of Humanity — with Yuval Noah Harari
Reste à savoir comment se fera cette transition : les 10 milliards d’individus que comptera prochainement notre planète ne pourront pas tous s’offrir les clés de cette immortalité et de cette technologie décuplant nos pouvoirs.
Ce sera probablement une infime minorité. Homo Deus cohabitera-t-il durablement avec Homo Sapiens ou notre espèce actuelle disparaitra-t-elle, ce que semble penser Harari ? Rien ne prouve que ce soit inéluctable. Ce qui semble prévaloir dans ce début de XXIè siècle, c’est bien son imprévisibilité, et l’auteur n’est pas le seul à le souligner.
Jean-François Caillard est COO de NUMA, dont l’objectif est de soutenir les entrepreneurs tech qui se donnent pour mission de répondre aux enjeux mondiaux de 2030. Pour en savoir plus, cliquez ici.



L'homme-dieu et les algorithmes : une recension de "Homo Deus" de Yuval Noah Harari
pour Alternatives Economiques, janvier 2018.
Jean Bourdariat 22/01/2018


Yuval Noah Harari s’appuie sur des présupposés que le lecteur doit accepter comme tel s’il veut comprendre sa thèse. L’esprit de l’être humain n’est pas immatériel, mais au contraire purement biologique. Les processus par lesquels l’esprit humain voit, ressent, comprend et agit sont des algorithmes déclenchés par des événements extérieurs ou intérieurs. Ces processus sont les mêmes chez l’humain et chez l’animal. L’animal voit, ressent, décide et agit comme le fait un humain. La différence est la taille du cerveau, le nombre de neurones, qui confère à un individu humain sa supériorité sur l’individu animal.
L’être humain se différencie de l’animal par la conscience. Mais qu’est-ce que la conscience, alors qu’on vient de présupposer que l’esprit humain est biologique dans sa totalité ? La conscience est associée à l’altérité. L’individu acquière une conscience de lui-même par le fait de se trouver dans un groupe humain, celui dans lequel il a vu le jour ou dans lequel il vit. Cela veut-il dire que l’enfant sauvage, un humain vivant seul dans la nature sans avoir jamais rencontré un autre être humain, serait sans conscience ?
De la puissance de son cerveau et de sa conscience de l’altérité naît le besoin de communiquer et le langage. Le langage démultiplie la puissance du groupe, très supérieure à la simple addition des capacités du cerveau des individus. Il permet au groupe d’organiser et de coordonner les actions et comportements de ses membres, de nommer des événements futurs ou passés, d’amasser et de diffuser des connaissances. La religion est l’instrument initial de la capacité du groupe à se coordonner et s’organiser. C’est cette capacité, croissante avec les innovations techniques, de l’écriture à l’imprimerie, des télécommunications à l’Internet, qui va permettre aux humains de dominer tous les autres êtres vivants de la planète. Par la capacité à gérer une masse grandissante d’information, la quasi instantanéité des communications, des objets technologiques de plus en plus sophistiqués, nous savons fabriquer des machines comportant des millions de composants électroniques, faire fonctionner une usine avec seulement une heure de stocks, faire voler des avions complexes et fiables, soigner des maladies graves, produire des armes toujours plus destructrices, etc.
En ce début de vingt-et-unième siècle, la coordination entre les habitants de la terre atteint des niveaux inimaginables il y a seulement 20 ans. Toutes les informations dispersées dans des livres, des dossiers, dans nos cerveaux sont progressivement transférées dans des data centers accessibles (presque) par tous. Wikipédia a rendu obsolètes les encyclopédies. Les moteurs de recherche apportent immédiatement les réponses à des recherches qui nécessitaient auparavant d’identifier, puis de réunir des experts rares et une documentation difficilement accessible. Le partage d’informations personnelles sur les réseaux sociaux permet à chacun de « garder le contact » en s’épargnant la contrainte de rencontrer physiquement son groupe d’« amis ».
Avec les moteurs de recherche, une nouvelle technologie est née, celle des algorithmes : ils réunissent et classent les informations répondant à nos questions mieux qu’un expert humain. Ils proposent sur les réseaux sociaux des informations et des offres commerciales adaptées à ce qu’ils comprennent de mes gouts, de mes désirs et de mes besoins. Ils managent directement des dizaines de milliers de chauffeurs de VTC.
Le futur, selon Yuval Harari, se ferait entre deux extrêmes qui sont la conséquence du niveau de coordination et d’intelligence atteint par les « systèmes ».
Le premier aboutissement possible est prométhéen, c’est l’« Homme-dieu », surhumain, qui réussit à maîtriser les systèmes et les mettre à son service, pour toujours plus d’intelligence, de vitesse, de capacité d’action et de domination. Seuls un petit nombre d’humains parviendront à maîtriser ces systèmes. L’avance qu’ils prendront sur les autres humains, qui croîtra exponentiellement avec la maîtrise acquise, créeront deux humanités : les hommes-dieu en petit nombre, qui pourront jouir de toutes les facilités de la planète, ils pourront même parvenir à allonger la durée de leur vie, voire atteindre l’immortalité ... Les « 1% » ou les « 0,1% » actuels en sont les prémisses.
Le second aboutissement possible est la domination des humains par les algorithmes. Initialement construits laborieusement par l’homme, les algorithmes gouvernent et vont gouverner une étendue grandissante de nos vies. Mais en cette année 2017, un nouvel algorithme a démontré des capacités d’apprentissage incroyables, battant aux échecs les meilleurs algorithmes humains après moins de 24 heures d’observation des jeux. « En commençant par jouer aléatoirement, et sans avoir reçu de connaissance sur le jeu à part ses règles, Alpha Zéro est parvenu en vingt-quatre heures à atteindre un niveau surhumain de jeu aux échecs et au shogi, ainsi qu’au go, et a battu sans ambiguïté, dans chacun des cas, les meilleurs programmes au monde », expliquent les chercheurs de la société DeepMind. Pour Yuval Harari, ces algorithmes « auto-apprenant » ont la capacité de dominer les humains, et pourquoi pas un jour, de juger les humains inutiles sur la planète …
Y aura-t-il une conscience ou une sagesse humaine suffisante pour éviter ces deux extrêmes ?



Yuval Noah Harari est l'auteur de "Homo deus" (éditions Albin Michel). © Charles Surbey


Yuval Noah Harari, docteur en Histoire, enseigne dans le département d’histoire de l’Université hébraïque de Jérusalem. Son précédent livre Sapiens, une brève histoire de l’humanité, a été un best-seller mondial. Il a accepté de répondre par mail aux questions que Sciences et Avenir lui a fait parvenir et qui ont été publiées en partie dans le Hors Série (octobre-novembre 2017) « 9 Révolutions scientifiques », sous le titre « La révolution de l’intelligence artificielle ». Un numéro toujours disponible en kiosques.

Sciences et Avenir : A la fin de votre livre Homo Deus, vous invitez les lecteurs à réfléchir au fait que "la science converge vers un dogme universel suivant lequel les organismes sont des algorithmes, et la vie se réduit à un traitement de données. Est-ce cela LA nouvelle révolution scientifique que vous nommez "dataïsme" ? Et s'applique-t-elle à tout l’Univers ?

Yuval Noah Harari : Le dataïsme est la croyance selon laquelle l'univers tout entier ne consiste qu’en flux de données ; et un phénomène, quel qu’il soit, en une manière de traiter ces données. Dans cette optique, une tomate et un humain ne sont que des mécanismes de traitement différents. De même pour le communisme et le capitalisme. La seule chose qui les distingue radicalement c’est que le premier s’appuie sur un système de traitement de données centralisé alors que le second fait appel à un système distribué.

Pour le dataïsme, ce que nous appelons en langage courant sentiments et désirs sont en fait des algorithmes biochimiques, qui ne reposent pas sur l'intuition ou l'inspiration, mais sur le calcul. Ainsi, le babouin, la girafe ou l’humain qui voit un lion a peur parce que, dans son cerveau, des millions de neurones effectuent un calcul à partir des données de la situation et en concluent une très forte probabilité de mort imminente. Nous-mêmes n’avons généralement pas conscience que nos sentiments sont des calculs parce que les processus biochimiques qui les sous-tendent se déroulent si rapidement qu'ils demeurent sous le seuil de détection qui ne ferait accéder à cette prise de conscience. Nos sens ne perçoivent pas ces millions de neurones qui calculent les probabilités de survie et de reproduction. Nous croyons donc, à tort, que notre peur des lions, nos choix en matière de partenaires sexuels ou nos opinions sur l'Union européenne sont le résultat de quelque mystérieux "libre arbitre".

"Sous peu, les livres vous liront pendant que vous les lisez !"

Dans l’optique du dataïsme, les entreprises comme les Etats, s'ils agrègent suffisamment de données biométriques et de capacité de calcul, pourront bientôt créer des algorithmes qui me connaîtront mieux que moi-même, et le pouvoir glissera de ma personne vers l'algorithme. Ce dernier comprendra mes désirs, prédira mes décisions, et fera de meilleurs choix en mes lieu et place... Cela commence par de petites choses, par exemple quel livre acheter. Comment les gens choisissaient-ils leurs livres il y a vingt ans ? Ils se fiaient à leurs sentiments personnels et aux recommandations de leurs amis. Aujourd'hui, nous avons de plus en plus recours à Amazon. Lorsque nous entrons dans le magasin virtuel d'Amazon, le message suivant s'affiche : "Je sais quels livres vous avez aimé. Les gens qui ont les mêmes goûts que vous ont aimé telle ou telle nouveauté".

Mais ce n'est qu'un début. Des appareils tels que le Kindle d'Amazon peuvent collecter en permanence des données sur leurs utilisateurs pendant la lecture. Votre liseuse peut contrôler la vitesse à laquelle vous lisez tel ou tel chapitre, ici vite, là lentement; à quelle page vous avez fait une pause, et à quelle phrase vous avez définitivement laissé tomber. Et si, de surcroît, Kindle était doté d'un logiciel de reconnaissance des visages et de capteurs biométriques, il pourrait savoir la façon dont chaque phrase vous influence, vous fait battre le cœur et modifie votre tension. Il pourrait savoir ce qui vous a fait rire, ce qui vous a rendu triste, ce qui vous a mis en colère.

Sous peu, les livres vous liront pendant que vous les lisez ! Et alors que vous oubliez rapidement ce que vous avez lu, les programmes informatiques n'ont aucune raison d’en faire autant. En fin de compte, ces données pourraient permettre à Amazon de choisir vos lectures à votre place avec une précision inquiétante et lui donner la possibilité de savoir exactement qui vous êtes et sur quels boutons émotionnels appuyer. En poussant la logique jusqu’au bout, les gens pourraient finir par confier aux algorithmes le pouvoir de prendre les décisions les plus importantes de leur vie : quelles études suivre, qui épouser, pour qui voter...

Qu'est-ce qui est le plus important dans cette révolution ? La convergence entre biotechnologie et technologie de l'information ? Plus que cela... Entre génie génétique et intelligence artificielle ?

L'essence de cette révolution, c’est la fusion entre biotech et infotech. Si les organismes sont des algorithmes, alors il n'y a aucune différence entre biotechnologies et technologies de l’information. Pour parvenir à la re-programmation des organismes (par génie génétique) et à la prise de pouvoir par l'intelligence artificielle, la clé sera donc de hacker les algorithmes biochimiques. Car en même temps que les technologies de l'information progressent, progressent aussi les biotechnologies. Plus notre capacité de calcul augmente, plus il nous est facile d'analyser les modèles biologiques, d'apprendre à diagnostiquer les maladies et à identifier les émotions. En retour, une intelligence artificielle pourra apprendre à traiter les pathologies, identifier les terroristes, de faire des recommandations sur le choix d’un partenaire, réguler une rue encombrée de piétons.

"L'intelligence et la conscience sont deux choses bien distinctes"

Est-ce que l'intelligence artificielle constitue la menace principale ? L'entrepreneur Elon Musk l'a vue ainsi (avec d'autres, tel l’astrophysicien Stephen Hawking). Qu’en pensez-vous ?

L'IA a un potentiel formidable. Les véhicules autonomes peuvent faire chuter le nombre d'accidents de la route et baisser la pollution, des médecins IA sont capables de traiter des centaines de millions de personnes qui pour le moment n’ont aucun accès aux soins. Mais l'IA est également dangereuse. Pas à la manière des scénarios hollywoodiens, qui ne m'effraient pas plus que ça. Dans le film de science-fiction type, une fois que l'ordinateur a atteint une intelligence supérieure, il se voit inévitablement doté de conscience et deux solutions se présentent alors : soit un humain en tombe amoureux, soit l'ordinateur essaie de tuer tous les humains. Des scénarios très peu réalistes, car l'intelligence et la conscience dont deux choses bien distinctes.

L'intelligence, c'est la capacité à résoudre des problèmes alors que la conscience, c'est la capacité à ressentir et à désirer des choses. Chez les humains comme chez d'autres mammifères, l'intelligence et la conscience vont de pair. Les banquiers, les conducteurs, les médecins et les juges se fondent sur leurs sentiments pour résoudre certains problèmes. Les ordinateurs, cependant, peuvent résoudre les mêmes problèmes d'une manière très différente, et il n'y a absolument aucune raison pour qu'ils développent une quelconque conscience pendant ce processus de résolution du problème.

Depuis un demi-siècle, les avancées des ordinateurs en matière d'intelligence ont été immenses, mais ils n'ont pas progressé d'un pouce en ce qui concerne la conscience. Plusieurs chemins peuvent conduire à l'intelligence, mais seuls certains impliquent l'acquisition de la conscience. De même que, sans plumes, les avions volent plus vite que les oiseaux, les ordinateurs peuvent résoudre certains problèmes bien mieux que les humains mais sans être dotés de sentiments. Bien sûr, quand il s'agit de traiter des maladies humaines, d'identifier des terroristes, de recommander un partenaire ou de réguler une rue pleine de piétons, il est nécessaire que l'IA analyse les sentiments humains avec précision.

Mais elle le peut sans ressentir quoi que ce soit par elle-même. Il me semble donc peu probable qu'une IA acquière brusquement une conscience, nourrisse des désirs incontrôlés et se mette à tuer. Deux autres dangers me semblent bien plus préoccupants. D'abord, que l'intelligence artificielle puisse donner du pouvoir à la bêtise naturelle des hommes. Un exemple : jamais les robots ne décideront de leur propre chef de tuer des humains. Mais les hommes qui les contrôlent pourraient leur en donner l'ordre. C'est précisément parce que les robots n'ont ni conscience ni sentiments personnels qu'ils ne se rebelleront jamais contre leurs maîtres. Et peu importe si ces derniers leur ordonnent de commettre des horreurs.

Une armée de robots aurait probablement écrasé dans l'œuf la Révolution française, et si, en 2011, Hosni Moubarak avait disposé d'un contingent de robots tueurs, il aurait pu les lâcher contre le peuple égyptien sans crainte de défection. De même, un gouvernement impérialiste se basant sur une armée de robots pourrait se lancer dans des guerres impopulaires sans craindre que les robots ne perdent leur motivation. Si la France avait eu des robots tueurs en Algérie dans les années 1950, la guerre aurait pu durer quelques décennies de plus. Mon autre crainte est que l'IA et la robotique n'enrichissent qu'une élite de la Silicon Valley, alors que des centaines de millions de personnes se retrouveraient écartées du marché du travail. L'humanité se diviserait entre une petite caste supérieure de super-humains et une vaste "classe inutile" de gens sans valeur économique ni pouvoir politique.

Quelles recommandations feriez-vous donc aux scientifiques ? Manquent-ils d'esprit d'anticipation ?

La plupart des scientifiques se focalisent trop sur les détails techniques dans leur domaine, et pas assez sur les implications sociales et politiques de leurs découvertes. Ils ont également tendance à avoir une vision par trop optimiste de la nature humaine et de l'utilisation qui sera faite de leurs inventions. Je les exhorte à en saisir l'importance et à se souvenir qu’en définitive, ils n’auront pas le contrôle de ce qu’ils ont créé. Il passera à d’autres, comme Trump, Poutine, Erdogan ou Netanyahou.

"Au cours des deux prochains siècles, la science pourrait s'insinuer dans la vie inorganique en lui associant un 'design intelligent'"

Finalement, quelle est votre vision personnelle : est-ce que les organismes ne sont vraiment que des algorithmes et la vie juste une question de traitement de données ?

On ne le sait pas encore, parce que nous sommes loin d'avoir compris ce que c'est que l'esprit. Beaucoup de gens, dont nombre de scientifiques, ont tendance à confondre cerveau et esprit, alors qu'il faut bien les distinguer. Le cerveau est un réseau de neurones et de synapses. L'esprit est un flux d'expériences subjectives, telles que la douleur, le plaisir, la colère et l'amour.

La science estime que le cerveau produit d'une certaine manière l'esprit, les réactions biochimiques au sein des milliards de neurones engendrant d'une manière ou d'une autre les expériences de douleur et d'amour. Mais jusqu'à présent, nous n'avons pas la moindre explication sur la façon dont l'esprit émerge du cerveau. Comment se fait-il que, quand des milliards de neurones émettent leurs signaux électriques selon un agencement bien particulier, je ressente de la douleur, et quand il s'agit d'un autre agencement, je ressente de l'amour ? On n'en a aucune idée. C'est LA grande lacune dans notre compréhension de la vie. Une lacune très dangereuse.

Nous avons redessiné la planète tout entière, mais parce que nous n'avons pas compris la complexité de l'écologie globale, nous avons par inadvertance tout bouleversé. Le siècle à venir, nous pourrions reconfigurer nos corps et nos cerveaux, mais parce que nous ne comprenons pas la complexité de notre propre esprit, nous pourrions, toujours par inadvertance, bouleverser tout notre système mental.

"D'ici 200 ans, les traits physiques et mentaux nés de la combinaison de la biotechnologie et de l'IA pourraient être en totale rupture avec le moule hominidé"

Comment évalueriez-vous cette révolution, en la comparant aux autres (héliocentrisme, relativité générale, mécanique quantique...), dans l'histoire de l'humanité ?

Par ses applications pratiques, cette révolution est la plus importante qui ait eu lieu, non seulement dans l'histoire de l'humanité, mais dans l'histoire de la vie elle-même. Pendant quatre milliards d'années, celle-ci a été gouvernée par les lois de la sélection naturelle. Que l'on soit virus ou dinosaure, ce qui présidait à l’évolution, c'étaient les principes de la sélection naturelle. De surcroît, peu importe que la vie ait adopté des formes bizarres, elles restaient confinées au royaume organique.

Cactus ou baleine étaient faits de composés organiques et sujets aux lois de la chimie organique. Au cours des deux prochains siècles, en revanche, la science pourrait s'insinuer dans la vie "inorganique" en lui associant un "design intelligent". Pas le "dessein intelligent" d'un dieu par-delà les nuages, mais bien le nôtre, celui que nous accomplirons avec nos calculs dans le « cloud ».

Cette vision est-elle bénéfique pour nous, selon vous ?

Si nous savons comment le mettre à profit, oui. Mais les humains sont beaucoup plus habiles dans l'art d’accroître leur pouvoir que dans celui d'en faire usage avec sagesse. Ce qui explique pourquoi, alors que nous sommes des milliers de fois plus puissants qu'à l'Age de pierre, nous ne sommes, semble-t-il, pas plus heureux.

Qu'allons-nous faire de tout ce pouvoir ? Pensez-vous que le post-humanisme puisse s'imposer ?

Le post-humanisme signifie que nous mettons notre pouvoir non seulement au service d’un remaniement du monde autour de nous, mais également à l'intérieur de nous. Remanier nos corps, nos cerveaux et nos esprits jusqu'à ce que nous ne soyons plus humains. J'imagine que d'ici deux siècles au plus, Homo sapiens aura disparu et que la terre sera dominée par des entités plus éloignées de nous, que nous ne le sommes de Néandertal ou des chimpanzés.

Aujourd'hui, nous continuons de partager avec ces derniers la plupart de nos structures, de nos capacités physiques et capacités mentales. Pas seulement nos mains, nos yeux et nos cerveaux qui sont clairement hominidés, de même que l’amour, la colère ou les liens sociaux. D'ici deux cents ans, les traits physiques et mentaux nés de la combinaison de la biotechnologie et de l'IA pourraient être en totale rupture avec le moule hominidé.

"La technologie n’est pas déterministe"

Avec le nucléaire, l’humanité au 20e siècle a redouté de disparaître. Ne faites-vous pas le même genre d’analyse des nouvelles techniques ?

De fait, l’histoire des armes nucléaires devrait nous donner de l’espoir. Celui de nous hisser à la hauteur des défis posés par les nouvelles technologies. Dans les années 1950 et 1960, beaucoup étaient persuadés que l’humanité n’était pas assez sage pour éviter sa propre destruction, et que ce n’était qu’une question de temps avant que la Guerre Froide ne se mue en apocalypse nucléaire. Or, l’humanité a relevé le défi. La géopolitique adoptée depuis des millénaires par les superpuissances s’est modifiée, d’où l’arrêt de la Guerre Froide sans que trop de sang ait été versé.

Est apparu ensuite un nouvel ordre mondial promouvant une ère de paix sans précédent. Non seulement la guerre nucléaire a été évitée, mais il y a moins de guerres en général. Depuis 1945, peu et même peut-être aucun pays n’a été entièrement rayé de la carte par une invasion venue de l’extérieur de ses frontières, et peu d’entre elles ont été redessinées après une agression manifeste. En 2016, malgré la guerre en Syrie, en Ukraine et dans d’autres zones sensibles, moins de morts ont été occasionnées par la violence humaine que par les accidents de voiture, l’obésité ou le suicide. J’espère que, de la même manière, nous parviendrons à surmonter les défis posés par l’IA et le génie biologique.

Pourquoi avez-vous écrit ce livre ? Redoutez-vous vraiment que l’homme veuille se mettre à la place de(s) dieu(x)?

J’ai écrit ce livre parce que je redoute les dangers inhérents à nos nouveaux pouvoirs, et parce que je pense qu’il est encore possible d’agir. La technologie n’est pas déterministe. Il y a plusieurs options possibles, et nous ne sommes pas dans l’obligation d’en adopter une en particulier. Pendant le 20e siècle, les gens ont pu emprunter le train, utiliser l’électricité, la radio et instaurer des régimes dictatoriaux, fascistes ou des démocraties libérales. De même, au 21e siècle, on fera appel à l’IA ou au génie biologique et on construira des sociétés de types très différents. J’espère que nous saurons faire preuve de sagesse.

Sciences et Avenir : Selon vous, le libre arbitre n’existe pas. En quoi cette pensée affecte-t-elle votre propre existence ?

Yuval Noah Harari : Il règne une grande confusion autour de ce concept de « libre arbitre ». Les humains ont une volonté, des désirs, qu’ils sont parfois libres de réaliser, c’est évident. En revanche, les humains ne sont pas libres de les choisir. On peut facilement s’en rendre compte. Observez la pensée qui vous vient à l’esprit en ce moment. D’où vient-elle ? L’avez-vous choisie ? Bien sûr que non. Lorsqu’on observe attentivement son propre esprit, on s’aperçoit qu’on ne choisit pas librement ce à quoi on penser, ce que l’on ressent et ce que l’on veut. En prendre conscience permet d’être moins obsédé par ses opinions, ses sentiments et ses désirs. Les humains accordent en général tellement d’importance à leurs désirs qu’ils essaient de tout contrôler pour redessiner le monde en fonction de ceux-ci. Tout à cette poursuite, ils vont dans la Lune, déclenchent des guerres mondiales et détruisent les équilibres écologiques.
Une fois que l’on a compris que nos désirs ne naissent pas de notre libre arbitre mais résultent d’une série de processus biochimiques du corps et du cerveau, on y fait beaucoup moins attention, du moins faut-il l’espérer. Se faire une juste compréhension de nous-mêmes, de notre cerveau et de nos désirs permet, selon moi, d’édifier un monde bien meilleur que lorsque notre seul objectif est de réaliser tout ce qui nous vient en tête. Voilà pourquoi, personnellement, je consacre deux heures par jour à la méditation et fais chaque année une retraite d’un ou deux mois. Je pratique la méditation Vipassana, une méthode d’observation de l’esprit de façon systématique et objective. Celui-ci est relié en permanence aux sensations corporelles, et il y réagit.
Même quand nous pensons réagir à la crise financière globale, aux propos de Donald Trump à la télévision ou à un souvenir d’enfance douloureux, nous réagissons en fait à une sensation corporelle ici et maintenant. Dans le Vipassana, le pratiquant s’entraîne à observer de façon ordonnée et objective le ressenti du corps et les réactions mentales qu’il entraîne, ce qui permet de mettre au jour son profil mental le plus enfoui. La méditation n’est pas une fuite de la réalité. Elle permet d’entrer en contact avec la réalité. Pendant au moins deux heures par jour je peux vraiment observer la réalité telle qu’elle est, alors que pendant les 22 autres heures, je suis submergé par les courriels et les tweets et les vidéos de chats. Sans la clairvoyance qu’elle m’a permis d’acquérir, je n’aurais écrit ni Sapiens, ni Homo Deus.

. P.-L. 22.11.2017 à 17h45 Pour Yuval Noah Harari, en gros, la conscience est une somme d'intelligences mais pour moi, c'est plutôt un reflet de l'autre, or une machine est discontinue avec son créateur, malgré tous les programmes qu'il pourra lui mettre dans la tête parce que lui-même ne sait pas qui sont les autres... Paf...